LA COMMUNAUTE DES PINON | ![]() |
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Certaines régions ont vu se développer des systèmes originaux, souvent fondés sur des organisations familiales de type "frereche" ou par "maison". La communauté des Pinon (ou Quittard-Pinon) en est un exemple parmi d'autres. Le hameau "Chez Pinon" existe toujours, près de Thiers, les bâtiments anciens sont devenus des résidences secondaires dont l'une est toujours habitée par un descendant de cette famille. Bien que n'ayant pas de lien généalogique avec cette famille (mais sait-on jamais ?), voici un extrait de "Description Des Principaux Lieux de France" par Jacques-Antoine Dulaure, 1789, 5ème partie (consacrée à L'Auvergne) (http://gallica.bnf.fr/). | |
... Nous avons parlé dans l'article de Thiers & de Vollore, des titres pompeux, mais inutiles, vexatoires & usurpés dans leur origine, de la maison de Thiers, issue de la Maison d'Auvergne, laquelle decendoit des anciens Ducs d'Aquitaine; nous allons parler d'une Maison peut-être aussi ancienne, moins imposante, mais plus utile, & plus respectable. Ce n'est point une Maison illustrée par des guerriers, fiers du sang qu'ils ont versé, des malheurs qu'ils ont causés dans les campagnes; mais une maison de laboureurs, paisibles et utiles, qui ont fécondé, par leur sueur, les champs de leurs aïeux, & qui ont constamment offert le tableau, satisfaisant pour le Philosophe, d'une simplicité vraiment patriarchale, unie à des vertus actives & bienfaisantes. Cette Maison est celle d'une communauté de Laboureurs, appelée les Pinons ou les Pinous. Le village que forme cette communauté, est situé à un gros quart de lieu & au nord-ouest de la ville de Thiers, & porte le nom de chez Pinons . (1) Suivant une tradition fort incertaine, cette communauté a près de douze cents ans d'ancienneté; ce qui est constant, c'est qu'elle existe depuis environ cinq cents ans. Ceux qui la composent possèdent en commun près de cinquante mille écus de biens fonds, dont la plupart environnent le village qu'ils habitent; ils possèdent aussi le fief de Saudon, qui est à leur porte. La communauté est gouvernée par un chef électif, distingué par le titre de maître Pinon. La maison est divisée en quatre branche; ce sont les quatre chefs de ces branches qui administrent en commun les affaires & qui élisent un d'entre eux pour maître. Celui-ci a la principale autorité, & l'on regarde comme un des principes fondamentaux de cette société, le respect que tous ceux de la maison lui portent. Une autre règle qui n'a pas peu contribué à maintenir cette communauté dans son intégrité première, c'est celle qui en bannit le luxe & les autres distinctions. Le maître, ainsi que tous les hommes de sa maison, est vêtu aussi grossièrement que les paysans des environs, & n'est guère distingué de ses valets. Les bâtimens sont vastes, mais simples, & même pauvres en apparence .(2) Les jeunes gens se marient ordinairement dans la famille, mais ces mariages ne sont contractés qu'entre cousins issus de germains. Ceux que l'on marie hors de la maison n'ont que cinq cents francs de dot. Les enfans mariés dehors pourroient, en justice réglée, exiger un partage des biens, afin d'obtenir une légitime plus considérable; mais ces partages, qui ont eu lieu quelquefois dans cette famille, sont rares, à cause du grand respect qu'on imprime de bonne heure aux enfans pour la maison & pour les usages .(3) Les Pinons mangent tous à la même table. Ils sont fort charitables, & ils ont pour principe de ne jamais refuser l'aumône à ceux qui la demandent. Ils ont un bâtiment destiné à recevoir les pauvres. Tous ceux qui y passent sont assurés d'y trouver le souper, le coucher & le déjeuné le lendemain. Ils font la prière soir & matin en commun, & exigent que leurs domestiques y assistent. Ils sont aussi exacts observateurs des préceptes de leur religion que des devoirs de la probité. Quoiqu'ils ne diffèrent en rien, par leur extérieur, des autres Paysans, ils sont néanmoins fort respectés par eux, & même par les Bourgeois. Le maître est toujours bien accueilli partout. La maison des Pinons, il y a environ cent quatre-vingts ans, étoit, par défaut d'enfans mâles, prête à s'éteindre; un nommé Guitard y entra, en prit le nom, & la régénéra, de sorte qu'aujourd'hui elle devroit être nommée Guitard-Pinon. Un mémoire composé en 1739, sur la maison des Pinons, & imprimé avec un autre plus récent dans le Journal économique du mois de décembre 1755, nous en a conservé les anecdotes suivantes. Pendant que M. le Blanc étoit Intendant de l'Auvergne, il vint visiter la communauté des Pinons; il y fut bien reçu, il fit placer le maître à table à côté de lui, & s'informa avec soin des usages & des coutumes de la maison. Quelques années après, c'est-à-dire, vers l'an 1712, M. le Blanc, rappelé à la Cour (4), eut occasion de parler à Louis XIV de cette communauté. Un procès ayant attiré maître Pinon à Paris, il crut devoir aller saluer M. le Blanc, qui l'accueillit amicalement, le conduisit à la Cour, & le présenta au Roi. Louis XIV le reçut avec bonté, lui fit plusieurs questions, parut satisfait de la sagesse de ses réponses, ordonna que la taille de sa communauté ne passeroit jamais six cents livres, & lui fit donner une gratification, pour le dédommager des frais de son voyage. Ce maître Pinon fit voir qu'il n'avoit pas moins de dextérité dans les affaires, que de sagesse dans son administration. Les Administrateurs de l'hôpital de Thiers voulurent l'engager à partager cet emploi avec eux. Il eut beau représenter que son éloignement de la ville étoit un obstacle, & que les soins de sa famille le demandoient tout entier, il se vit obligé de céder à leurs vives instance: il consentit de se charger de l'emploi d'Administrateur de cette maison; mais ce fut à la condition que ceux qui seroient en charge avec lui, & tous ceux qui lui succéderoient dans cet emploi, donneroient comme lui, chaque année, à l'hôpital une certaine quantité de blé, de vin, & d'argent. Cette condition le tira d'affaire; elle parut trop onéreuse aux autres Administrateurs, qui le remercièrent de sa bonne volonté, & n'osèrent plus lui faire de nouvelles instances. La communauté des Pinons est la plus ancienne, mais elle n'est pas la seule du pays qui se régisse avec la même sagesse; celles des Péricoux & celle de Guefle sont les plus remarquables. | |
(1) La plupart des hameaux ou villages qui se trouvent à deux ou trois lieues aux environs de Thiers portent des noms précédés de la préposition chez, ce qui indique que ces villages doivent leur origine à la Maison dont ils conservent le nom.(retour) (2) Lorsque M. de la Grandville, Intendant de la province, fit sa tournée, il fut visiter cette communauté de paysans. Quelques personnes de sa compagnie vouloient conseiller au maître de faire bâtir pour lui un logement propre & commode; mais M. de la Grandville, plus sensé, leur fit sentir que cette simplicité étoit nécessaire à un pareil établissement, & que ce commencement de luxe pourroit avoir des suites fatales à l'harmonie qui régnoit dans cette petite République.(retour) (3) Il y a environ soixante-dix ans que la veuve d'un des chefs, qui n'avoit laissé qu'une fille unique, fut fortement sollicitée de se remarier avec quelque Gentilhomme, on lui faisoit aussi entendre qu'en retirant la portion des biens qui lui revenoient, elle trouveroit, pour sa fille, un parti fort avantageux; elle répondit dans son patois, qu'elle ne pourroit jamais se résoudre à témoigner un tel mépris à la famille & aux usages des Pinons.(retour) (4) Cet Intendant s'appeloit Claude le Blanc, il fut Secrétaire d'Etat au département de la guerre, en 1718, fut mis à la Bastille en 1723, & fut taxé à une somme de près de huit millions, il en fut déchargé en 1725, rentra dans sa place de Secrétaire d'Etat, & devint Ministre de la Marine.(retour) |