LE GRAND HIVER (1709) | ![]() |
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Parmi les diverses calamités qui s'abattaient de manière récurrente sur la France et ses habitants, le "Grand Hiver" de 1709 fait l'objet de témoignages fréquents et unanimes. J'ai trouvé au milieu des actes paroissiaux de Trucy l'Orgueilleux le laïus du Curé de l'époque (un certain Decaën) qui témoigne de ce fameux hiver. Nul doute que ces pauvres gens ont du souffrir pour que leur curé éprouve le besoin de tracer ses quelques lignes qui évoquent certains tableaux de J.Bosch deux siècles auparavant. | |
Remarques sur l'année 1709, Jamais peut-être on a eu une année comme celle-ci, on peut dire que tous les flots [fléaux ?] de Dieu ont concouru ensemble, la guerre, la peste et la famine. En 1708, le beau blé froment ne valait que trente sols et l'orge huit sols, dix sols au plus cher et en cette année il a valu dix livres et le froment vingt à cause du froid qui se mit le jour des Rois par un grand vent et un peu de neige et des pluies froides qui eurent gelé gâtèrent tous les blés en sorte qu'il n'en reste pas pour semer, on fût obligé de semer du vieux blé, pour de l'orge comme on en fît partout où il y avait eu des blés dans les jardins et chemins on en eût en abondance il valut néanmoins toujours jusqu'à sept à huit livres parce que tous ou presque ne mangeaient que de l'orge, point de vin qui valut jusqu'à cent francs le muid, on faisait de la boisson avec du genièvre et de l'orge, point de fruits, les pommiers et poiriers des jardins presque tous morts, comme aussi les bons pruniers, tous les noyers, pêchers et abricotiers sans en rester un seul, il n'y avait que la viande à bon marché que les pauvres gens mangeaient sans pain, jusqu'à de la chair de cheval et autres animaux morts. La plupart ne vivaient que d'herbes des champs sans saler, même les chardons, du pain de chènevis qui leur causait des dysenteries, il y en eût qui firent du pain de racine de fougère, il y eut des endroits où il ne sera presque personne, on trouvait quantité de gens morts de faim par les chemins, les oiseaux se mangeaient l'un l'autre, cependant il fallait payer les tailles, [?] et capitations plutôt que d'acheter du pain vendre à bon marché tout ce qu'on avait jusqu'à ses habits, linges et outils à travailler, les hommes et femmes paraissaient comme des fantômes, qu'on aurait fait tomber d'un petit souffle, qui auraient volontiers pardonné leurs morts. Bref, je ne crois pas qu'il ne soit dans les histoires rien de semblable tant Dieu est irrité contre la France, car je ne crois pas qu'il en soit de même parmi les autres nations car ils ne seraient pas en état de nous suivre comme ils font et si Dieu n'a pitié de nous, il faut tous périr. |